Ses yeux bleus, un regard pétillant et bienveillant et un sourire généreux animent son visage.
Députée (LREM) de 2017 à 2019, Elise Fajgeles est comblée par ses nouvelles fonctions. Depuis juillet 2019, elle est chargée de mission de la lutte contre les discriminations et contre la haine sur internet, au sein de la DILCRAH (Délégation interministérielle contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti LGBT). Un engagement naturel, lié à son histoire familiale et personnelle.
Une famille victime de l’holocauste
Elise Fajgeles est juive, et petite-fille de déportés. Ses grands-parents maternels et sa tante, immigrés polonais en France sont morts dans le camp d’Auschwitz.
“Mes parents font partie de cette génération qui a vécu la Shoah et pendant longtemps, n’ont pas voulu en parler… Ils ont souhaité qu’on soit français et ont grandi avec un grand sentiment de reconnaissance à l’égard de la France… Ma mère était pupille de la nation.
Protéger les minorités, lutter contre les injustices est une priorité qui lui est chère depuis longtemps.
Et son désir de s’engager contre l’antisémitisme coïncide avec une recrudescence de haine en France.
Augmentation des actes et menaces antisémites de 74% en 2018
« Aujourd’hui », confie Elise Fajgeles, “depuis quelques années, la communauté juive française ressent une profonde inquiétude liée une insécurité. ”
En 2018, la France enregistre une augmentation de 74 % des actes et menaces antisémites. Même évolution en 2019 : beaucoup d’insultes, de dégradations, de tags, d’agressions dans la rue.
Un climat qui s’est profondément accentué depuis le meurtre d’Ian Halimi par le gang des barbares en 2012.
Et ces chiffres ne prennent pas en compte toutes les violences qui inondent les réseaux sociaux, soit la plus grande partie des insultes et menaces antisémites.
Une haine qui déferle en grande partie sur les réseaux sociaux
Internet, explique Elise Fajgeles, est devenu « un espace de liberté de plus en plus important. Sous couvert de l’impression d’anonymat. Une arme d’autant plus efficace que le projectile est viral : un message publié suffit à en susciter 50, 100 puis des milliers simplement en une heure. Certains créent des faux comptes pour relayer. A l’occasion d’événements politiques ou de mouvements, comme celui des des Gilets jaunes, et les cibles sont plurielles représentants de la finance, de l’état,ou des corps constitués… »
En février, France 3 Alsace a dû interrompre un facebook live retransmettant la venue du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, dans le cimetière juif profané de Quatzenheim : “Au bout de quelques minutes, les commentaires ignobles et illégaux ont largement dépassé notre capacité à les modérer. Nous parlons d’appels au meurtre explicites, explique Aymeric Robert, le rédacteur en chef adjoint, responsable numérique qui gérait ce facebook live, “des commentaires ouvertement antisémites et racistes, des « Heil Hitler », ou des « sales juifs », qu’ils s’adressent à Emmanuel Macron ou aux représentants de la communauté juive. Dans le billet écrit à la suite, le reponsable éditrorial rappelle d’ailleurs que « ces internautes, pas toujours anonymes à en juger par leur patronyme, savent-ils que ces écrits sont un délit ? Qu’on peut faire de la prison ferme pour un simple commentaire sur Facebook ? »
Une haine globale liée à un climat anxiogène
Pour la première fois en France, 2019 marque une augmentation de tous les actes haineux, qu’ils soient antisémites, antimusulmans, racistes et homophobes…
Selon Elise Fajgeles, “on est dans une période très anxiogène . On parle de finitude du monde avec l’écologie, avec des mouvements migratoires extrêmement importants, une situation économique, politique et sociale inquiétantes. Et politiquement on le voit, il y a une forme de dégagisme, on ne fait plus confiance à aucun parti, et les institutions sont remises en cause… il y a un manque de repères, donc à ce moment là on cherche des boucs émissaires, on s’en prend à ceux qui sont différents… Les Juifs comme les homosexuels, ou les Musulmans. «
À l’occasion d’un match de foot, on peut voir déferler très vite des propos racistes, homophobes ou antisémites :
« Le cas de Bilal Hassani est flagrant », poursuit Elise Fageles. « Le candidat à l’Eurovision, maghrebin et homosexuel, se prend des milliers et des milliers d’insultes de la part des musulmans, car il est homosexuel et c’est donc un mauvais musulman, de la part de l’extrême droite, car il est à la fois arabe et homosexuel. »
Victime d’un raid numérique, de menaces de mort…
Elise Fajgeles, elle même, a été victime d’un raid numérique, pendant son mandat de députée, l’an dernier, en pleine crise des “Gilets jaunes” :
“Je me suis retrouvée sur le plateau de Morandini avec des Gilets jaunes, et je n’ai pas réussi à donner le montant du SMIC. Morandini l’a évidemment tweeté tout de suite,
et cela a donné lieu pendant deux à trois jours à des milliers d’insultes partagées et re-partagées sur tous mes réseaux sociaux, pendant 48 heures. »
Des insultes sexistes comme “vas sucer Macron” et antisémites comme “les nez crochus qui dominent le monde et la finance” et des menaces de morts “ tu mérites la mort on va te retrouver pour te faire du mal. “
« Cela fout la trouille« , nous confie-t-elle, « le temps qu’on se rende compte que ce n’est pas parce que quelqu’un vous dit, on va te retrouver, on va te faire du mal, qu’il sera là en bas de chez moi… Mais ce n’est pas évident. Cela a été d’une grande violence et d’une dureté absolue pour moi.
On a l’impression d’être au coeur du cyclone et d’être submergée par un torrent de boue. Et tout à coup je me sens responsable pour les Juifs.. Et après, il y a toute mon histoire personnelle qui revient…”
Les Juifs boucs émissaires, victimes de préjugés
Mais qui sont les auteurs de ces insultes antisémites qui déferlent sur les réseaux sociaux ?
Selon Elise Fajgeles, dans « un moment de précarisation politique et économique le bouc émissaire juif est tout trouvé. Et Internet est un terreau pour le conspirationnisme, car on ne vérifie pas, on manie les images comme on veut. »
Pour Johanna Barasz, déléguée adjointe de la Dilcrah et historienne : “il y a dans l’antisémitisme des stéréotypes récurrents, comme celui des théories conspirationnistes : le juif est désigné comme quelqu’un qu’on envie, comme l’élite qui détient la finance, les médias, et est lié à la République. Quand on a l’impression que les institutions ne nous protègent plus, c’est donc de la faute des juifs. «
Parmi les auteurs de l’antisémitisme sur les réseaux, selon Johanna Barasz, « l’extrême droite a le vent en poupe avec des personnalités comme Alain Soral, président de l’association Égalité et réconciliation, régulièrement condamné pour « injures raciales ou antisémites », « incitation à la haine raciale », « apologie de crimes de guerre et contre l’humanité », « négationnisme ». Il a été condamné à de la prison ferme en 2019. »
Elle cite aussi des groupuscules comme l’hebdomadaire “Rivarol”qui a investi le champ médiatique sur internet à l’occasion de la montée de l’échec de Marine Le Pen, avec des accusations slogans comme « c’est la finance internationale qui l’a emporté avec Macron ».
Sont aussi virulents sur les réseaux sociaux, les antisionistes comme Dieudonné : Attaquer les juifs comme représentants d’Israël, est devenu fréquent. Il y a une telle détestation d’Israël, qu’on assimile tous les Juifs à Israël, et une telle méconnaissance de ce que c’est qu’être juif qu’on a l’impression qu’un juif est un Israëlien.”
Enfin, à l’origine de déferlantes antisémites, Johanna Barasz et Elise Fagjeles citent des mouvements de l’Islam radical…
La responsabilité des plateformes
Les plateformes ont une responsabilité : « pendant très longtemps elles ont joué le rôle du facteur en se disant, qu’elles laissient passer les courriers et ce qu’il y a à l’intérieur n’était pas leur problème. Les modalités de signalement n’étaient d’ailelurs pas toujours très simples dans leur efficacité, et la régulation assez peu transparente…”
Et, ajoute Elise Fagjeles, Internet est un terreau pour le conspirationnisme, car on ne vérifie pas, on manie les images comme on veut. On a des propos très lapidaires.
Le site “ Démocratie participative” a été interdit plusieurs fois par la justice pour ses propos racistes.
« Et j’ai été une de leurs victimes, raconte Elise Fagjeles : on m’a affichée avec une étoile jaune en indiquant “sale youpie macroniste”.
Et à chaque fois ce site parvenait à renaître de ses cendres pas exactement avec la même adresse mais avec le même nom de domaine et les mêmes contenus. C’est ce qu’on appelle un site miroir.
Jusque là, la loi disait que tous les contenus devaient être retirés dans un “prompt délai”. Le problème, explique Elise Fagjeles, “ c’est qu’ils étaient plus ou moins retirés, et il n’y avait pas d’ obligation de régulation : on ne sait pas si des algorithmes étaient mis en place pour effectuer les contrôles ? »
Le hashtag Noisiel en est un exemple flagrant : en 24h, il y a eu 50 000 tweets homophobes : une vidéo d’un jeune homme faisant une fellation à un autre : et Twiter n’a retiré aucun tweet…
Une loi contre la haine sur internet
Le président de la République s’y était engagé lors du dîner du CRIF. Une loi de lutte contre la haine en ligne, portée par Laetitia Avia, deputée LREM, vient d’être votée, en nouvelle lecture le 22 janvier, par l’Assemblée nationale .
« Je suis moi même victime de racisme, quotidiennement, sur mes comptes de réseaux sociaux, nous confie Laetitia Avia. « Je suis une femme politique, j’ai donc le cuir solide.
Mais je voulais me battre pour les plus fragiles. Et aujourd’hui, je suis fière du soutien des députés, et du message uni que nous envoyons à nos concitoyens. «
Première mesure emblématique de cette loi Avia : obliger les plateformes à retirer des contenus manifestement illicites en 24 heures. S’ils ne le font pas, ils s’exposent à une amende prononcée par un juge, allant jusqu’à 1 million d’euros.
Cette loi prévoit aussi des moyens de régulation contrôlés par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Les plateformes devront produire des rapports pour prouver qu’ils ont mis en place des moyens humains suffisants et des algorithmes de régulation, pour s’assurer du respect de la loi.. Et si une plateforme manque à ses obligations, le CSA peut appliquer des amendes très fortes ( allant jusqu’à 4% du chiffre d’affaires).
Dans la loi qui porte son nom, Laeticia Avia prévoit la création d’un parquet numérique. C’est la réponse à une carence d’aujourd’hui : un commissariat n’est pas équipé pour poursuivre et sanctionner les auteurs de harcèlement. Ce parquet sera spécialisé dans les affaires numériques pour trouver des adresses IP, faire des réquisitions et ainsi obtenir l’identité des auteurs de raids numériques, et appliquer des sanctions, en lien avec la police.
“Des enquêteurs aux magistrats, nous aurons enfin des personnes qui maitrisent les RS et seront donc efficaces pour lutter contre les délinquants numériques ».Et pour lutter contre ces phénomènes haineux, il faut absolument en connaître tous leurs contours, les auteurs, les victimes, et les formes de haine. Un observatoire de la haine en ligne sera donc bientôt créé : “On aura enfin, autour de la même table, des magistrats, des chercheurs, des associations de lutte contre les discriminations, les acteurs du numérique et aussi des représentants de l’éducation nationale. « , explique t’elle.
Sensibiliser les plus jeunes
Pour la députée porteuse de la loi, « sensibiliser les plus jeunes est une priorité pour pouvoir enrayer les déferlements de haines sur la toile. »
Un programme de sensibilisation sera mis en place auprès des collégiens et lycéens, mais aussi des enseignants, « souvent démunis face à des cas de harcèlement entre élèves.
Des élèves qui doivent réaliser la portée de leurs écrits ».“L’an dernier, nous confie-t’elle, « je suis allée à Auschwitz avec une ancienne déportée et 250 adolescentes. Là bas, je leur ai expliqué que la haine en ligne est le premier pas qui conduit aux pires atrocités hors ligne, et que cela fait écho avec les heures les plus sombres de notre histoire…”
Cet esprit, cette prise de conscience autour de la commémoration de la libération des camps « que nous vivons actuellement doivent perdurer. Et les discours de haine affectent cette unité nationale,. Il est donc essentiel d’affirmer que ce que nous ne tolérons pas dans la rue, nous ne le tolérons pas non plus sur internet ».
Et Laetitia Avia de conclure : » L’objectif premier de cette loi est de dire aux victimes que la haine en ligne est aussi grave que la haine dans la vraie vie, et que nous les protégeons. »Après une nouvelle navette avec le Sénat, cette loi devrait être adoptée définitivement début mars.