Contre l’antisémitisme, pas d’ambiguïté !

L’antisémitisme se répand en France ces dernières années, et semble désormais la principale voie de passage d’un rapprochement « rouge-brun », que l’on qualifie généralement de populiste, mais qui a surtout des accents fascistes.

Jean-Luc Mélenchon tient des propos odieux quand il explique que pour éviter les compromissions, jamais il ne cèdera aux « génuflexions devant les ukases arrogantes des communautaristes du CRIF ». On nage en plein délire complotiste et antisémite.

Cette ambiance est préoccupante, inquiétante même. De manière plus feutrée, l’étude d’une résolution à l’Assemblée nationale visant à mieux lutter contre l’antisémitisme a conduit à des prises de position de leaders politiques, d’universitaires, de commentateurs, qui participent pour le moins à semer la confusion, si ce n’est la suspicion.

Pour la sécurité des juifs autant que pour l’intégrité de nos démocraties, il est urgent de lever des malentendus.

 

  1. En France, pas d’unanimité dans la lutte contre l’antisémitisme

L’assemblée nationale a adopté le 3 décembre dernier une résolution approuvant la définition opérationnelle dite « de travail » de l’antisémitisme élaborée en 2016 par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA). L’IHRA est une organisation intergouvernementale indépendante, fondée en 1998, qui regroupe les gouvernements de 31 états et des experts dans le but de renforcer et promouvoir l’enseignement de la Shoah, la recherche et la mémoire.

Face à la résurgence de l’antisémitisme dans le monde, cette définition non contraignante, se veut un guide mis à disposition des différents acteurs (gouvernement, société civile, forces de l’ordre, magistrats) dans leur travail au quotidien pour sensibiliser, prévenir, identifier et condamner les actes antisémites.

La France, membre de l’IHRA, avait alors approuvé cette définition, utilisée à ce jour par 20 pays dont 16 de l’Union européenne. Le président de la République a annoncé pour sa part lors du dîner du Crif en février 2019 que la France allait la « mettre en œuvre ».

Sylvain Maillard, député LREM de Paris, président du groupe d’étude « antisémitisme » à l’Assemblée nationale a alors proposé le vote d’une résolution parlementaire, elle aussi non contraignante, portant approbation de la définition par la représentation nationale « en tant qu’instrument d’orientation utile en matière d’éducation et de formation et afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives (…) pour détecter et poursuivre les attaques antisémites ».

Cette résolution a été votée le 3 décembre à 154 voix pour, 72 contre et 43 abstentions.

Point d’«ukase communautariste » ici, mais un processus international indépendant, un engagement politique transparent et une discussion parlementaire classique. Et non contraignante. Puisque tout le monde n’est pas expert en travail parlementaire, je me permets de souligner la différence entre une résolution et une loi : la résolution n’emporte pas d’effets juridiques obligatoires. J’insiste parce que le terme d’ « ukase » employé par Jean-Luc Mélenchon n’est pas anodin. Il est inspiré d’un terme juridique russe qui veut dire édit ou décret. Alors qu’il n’est ici question que d’une résolution, sorte de recommandation.

Il est à noter qu’en Allemagne, une telle résolution a été proposée conjointement par les quatre grands partis CDU, SPD, FDP et Verts. En France, elle a été l’objet d’oppositions très dures – les groupes La France Insoumise, communistes et socialistes votant unanimement contre – et de débats très vifs au sein même du groupe majoritaire dans lequel 22 députés s’y sont opposés.

 

  1. Ne pas céder à la concurrence des haines

Les premiers arguments avancés par les opposants à la résolution sont liés au contexte national et expriment une même inquiétude : après l’attentat contre une mosquée de Bayonne le 28 octobre dernier, on serait « passé à autre chose », ce ne serait plus le moment de mettre l’accent sur la lutte contre l’antisémitisme mais plutôt sur la lutte contre la haine anti-musulmans. Plus largement, et cela s’est évidemment accru depuis Bayonne, il s’agit de ne surtout pas laisser penser qu’on lutte davantage contre l’antisémitisme que contre les autres haines et spécifiquement que contre la haine anti-musulmans.

Malheureusement, la profanation le jour même du vote, de 107 tombes d’un cimetière juif en Alsace pourrait suffire à balayer l’argument du « timing ».

Il n’y a en effet pas de « timing » pour lutter contre la haine, quelle qu’elle soit. Les actes antisémites de l’hiver dernier, en marge du mouvement des Gilets jaunes, n’étaient pas une « mode » qui justifiait que l’on se retrouve place de la République pour dire « ça suffit », et qui serait désormais passée.

Pour mémoire, on tue  des français juifs parce qu’ils sont juifs – 11 personnes tuées en 15 ans – on agresse, on menace, on insulte, on profane des cimetières.

C’était le cas en février dernier, c’est encore le cas aujourd’hui.

Certes, l’indignation et le soutien républicain aux musulmans de France n’ont certainement pas été à la hauteur après cet attentat anti-musulmans de Bayonne. Au lieu de cela, les partis politiques républicains et les associations antiracistes ont laissé le terrain à ceux qui veulent nous diviser en instrumentalisant la légitime colère. Le combat politique de quelques religieux l’a emporté, lors de cette triste Marche contre l’islamophobie, sur les principes républicains de notre nation. La revendication identitaire d’une poignée a effacé le plus précieux : ce qui doit nous rassembler. En malmenant l’histoire, en maniant un relativisme abject, ils sèment d’ailleurs plus que la division : les ferments de la barbarie.

Je peux comprendre la frustration, je l’ai éprouvée moi-même, de ne pas avoir saisi le temps et l’espace, lors d’un grand rassemblement républicain, pour dénoncer cette haine violente envers les musulmans.

Je sais aussi que toutes les haines augmentent : les actes racistes, les discriminations à l’encontre des personnes portant des noms à consonance étrangère (spécifiquement à consonance arabe) à l’embauche, au logement, à l’obtention d’un prêt ou d’une assurance, les déferlements de haine sur internet envers les femmes, les juifs, les étrangers, les personnes LGBT, qui subissent des agressions de plus en plus nombreuses dans l’espace public.

Pour répondre à la complexité de ce phénomène, il faut une multiplicité d’outils, qui ne sont pas exclusifs les uns des autres, qui doivent se compléter et s’enrichir.

Il est alors invraisemblable de s’opposer à combattre une haine au motif que le combat contre une autre haine n’est pas satisfaisant. Ce qu’il faut, c’est élever le niveau de la mobilisation, ce n’est pas niveler par le bas.

 

  1. La République agit, mais il faut aller plus loin

Des choses avancent pourtant, des moyens sont déployés. Lors du dîner du Crif 2019, le président de la République a annoncé des mesures, dont la plupart d’ailleurs permettent de lutter indifféremment contre toutes les haines :

  • la proposition de loi Avia vise à lutter contre tous les contenus haineux manifestement illicites sur internet et le dramatique déferlement de haine homophobe sur twitter avec le #Noisiel le 26 novembre en démontre, s’il était encore besoin, l’impérieuse nécessité. Le texte est actuellement en discussion au Parlement.
  • la dissolution de groupuscules d’extrême-droite dont les thèses et actions allient théorie du grand remplacement, négationnisme et homophobie.
  • la DILCRAH porte 2 plans nationaux de lutte contre le racisme et l’antisémitisme pour l’un et contre la haine anti-LGBT pour l’autre, qui se traduisent notamment par des formations dans les écoles de policiers et magistrats, et la mise en place sur tout le territoire, d’un réseau d’enquêteurs spécifiquement formés à la lutte contre la haine.

Ayant le plaisir d’avoir rejoint la DILCRAH depuis le mois de juillet, j’ai réalisé moi-même, au cours des 6 derniers mois, un grand nombre de ces formations pour des élèves gardiens de la paix.

Plus généralement la DILCRAH soutient des associations locales et nationales qui œuvrent, au quotidien et au plus près du terrain, à lutter contre tous les préjugés racistes, antisémites et homophobes et à faire reculer la haine.

La République se donne donc de beaucoup de moyens pour faire reculer la haine. Mais comment croire que les vents mauvais qui se lèvent dans toutes les démocraties occidentales ne méritent pas d’être combattus avec ténacité et longueur de temps ?

Angela Merkel, après s’être rendue à Buchenwald, en 2009, à Ravensbrück, en 2010 et à Dachau en 2013 et 2015, s’est rendue pour la première fois à Auschwitz-Birkenau le 6 décembre dernier et y a dénoncé un « racisme préoccupant », une « intolérance galopante » et la montée d’un « antisémitisme qui menace la vie juive en Allemagne et en Europe ».

Il faut donc en appeler à des peines plus exemplaires, des outils encore mieux adaptés et plus efficaces, une coopération européenne.

A ce titre, je salue la création d’une mission d’information parlementaire sur toutes les formes de racisme annoncée par Gilles Legendre, président du groupe majoritaire. Je salue aussi la création par Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, d’une structure nationale en charge de l’élucidation des actes de haine, rattachée au directeur général de la gendarmerie pour coordonner la prévention, le renseignement et les enquêtes judiciaires.

Et si la lutte contre les haines, parmi lesquelles la lutte contre la haine antisémite, mérite toutes les forces de la Nation, l’adoption solennelle et symbolique de la définition « de travail » de l’IHRA par l’Assemblée nationale est une de ces forces.

 

  1. De quoi l’antisionisme est-il le nom ?
  • Critiquer la politique israélienne

Pour les opposants à la résolution, elle empêcherait, ainsi d’ailleurs que la définition de l’IHRA, de critiquer la politique des autorités israéliennes, allant même jusqu’à donner un blanc-seing à Benyamin Netanyahu dans sa politique d’implantation en Cisjordanie.

Et pourtant, la définition de l’IHRA dit explicitement que « les critiques à l’égard d’Israël ne peuvent être qualifiées d’antisémites ».

Qu’on se rassure donc, il ne s’agit pas ici d’empêcher qui que ce soit de critiquer l’Etat d’Israël.

En écoutant les débats à l’Assemblée la semaine dernière il était d’ailleurs assez cocasse d’entendre les plus grands défenseurs de la résolution affirmer avec force à quel point « oui on peut, et même on doit, critiquer la politique israélienne » !

Si ce besoin de se justifier ne me mettait pas si mal à l’aise, cela prêterait à sourire : si jamais Benjamin Netanyahu avait été derrière ce vote, il en aurait été pour ses frais !

Toutefois, si l’objectif de la définition est bien de mieux identifier pour mieux combattre les actes antisémites, il est essentiel de préciser que cette haine se nourrit de plusieurs causes : jalousie sociale ancestrale (« les juifs ont de l’argent », « les juifs prennent les meilleures places » « les juifs possèdent les médias »), préjugés religieux (« les juifs ont tué Jésus », « les juifs utilisent du sang d’enfants non juifs pour fêter leur Pacque »…), et aussi détestation d’Israël.

Le 19 mars 2012, Mohamed Merah tue, de sang-froid, trois enfants et le père de deux d’entre eux devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Au cours de l’assaut par les forces de l’ordre, il dira avoir agi « pour venger les enfants palestiniens ».

François Pupponi, député du Val d’Oise, raconte, lors de son intervention en soutien à la résolution, que le 20 juillet 2014, à Sarcelles, sous les fenêtres de l’appartement où vivait Eva Sandler la mère, l’épouse et la tante des victimes de l’attentat islamiste de Toulouse, « une manifestation propalestinienne a dégénéré en une horde antisémite où se mêlaient « Mort aux juifs » et « Mort à Israël » qui n’étaient pour les manifestants qu’un seul et même mot d’ordre ».

Cela avait déjà été le cas en janvier 2014, à l’occasion de la manifestation Jour de colère, on l’on a entendu dans des mêmes cortèges, des slogans « sales juifs » et « sales sionistes », alternativement scandés.

En février 2019, Alain Finkielkraut se fait agresser à l’occasion d’une manifestation des Gilets jaunes, aux cris de « sale sioniste de merde, rentre chez toi à Tel Aviv ».

Sur les réseaux sociaux, sur les murs des lieux publics, la haine à l’égard des « juifs » et des « sionistes » se confond sans qu’il ne soit alors nullement question de l’expression d’opinions politiques.

Car, en quoi exhorter à la haine et à la violence à l’égard des juifs, en lien avec Israël, serait la libre expression d’opinions politiques ?

On peut au contraire déceler ici plusieurs ressorts de la haine antisémite :

  • essentialiser les personnes juives en ne leur reconnaissant qu’une dimension juive,
  • assimiler tous les juifs à Israël, et ce faisant leur dénier leur statut de citoyens français, (« chez eux » serait Israël et non pas la France)
  • les rendre collectivement responsables de la politique jugée néfaste des autorités israéliennes, ce qui justifierait à ce titre, réactions légitimes de colère, de haine et de violence à leur encontre.

C’est donc bien cette double généralisation qui entraîne déchainements de haine et passages à l’acte violents : considérer Israël comme une collectivité de citoyens juifs et considérer tous les juifs comme israéliens. Et dans un même mouvement, haïr le pays des juifs et les juifs-représentants de ce pays.

 

  • La remise en cause de l’existence d’Israël est-elle légitime ?

Une tribune parue au Monde signée par 127 « intellectuels juifs » a fourni aux opposants à la résolution des arguments fort malhonnêtes intellectuellement et notamment celui selon lequel des rescapés de la Shoah étaient eux-mêmes antisionistes.

Quelques mots de contexte politique : le sionisme a émergé au XIXe siècle en même temps que d’autres mouvements de libération nationale en Europe et en Méditérannée et ce mouvement de libération du peuple juif a abouti à la création de l’Etat d’Israël en 1948.

Il convient alors de rappeler que s’il y avait des antisionistes juifs avant la Shoah, c’est parce qu’ils préféraient à cette émancipation du peuple juif une orthodoxie religieuse (attendre la venue du Messie) ou la révolution socialiste (pour les communistes du Bund).

Les comparer aux antisionistes d’aujourd’hui est totalement fallacieux car depuis 1948, remettre en cause l’existence d’Israël, c’est plaider la destruction d’un Etat existant, qui accueille une collectivité humaine et politique, disposant de sa propre langue, de son propre drapeau et de son propre gouvernement.

 

 

Alors, non, Jean-Luc Mélenchon la lutte contre l’antisémitisme n’est pas une cause communautariste, mais universaliste. Comme la lutte contre toutes formes de haine justement. Elle doit tous nous mobiliser et nous rassembler. Notre cohésion nationale en dépend.

Vous avez déclaré que Marine Le Pen faisait un pas vers l’humanisme, je vois que c’est surtout vous qui vous en éloignez !