Moshé Fajgeles

Moshé Fajgeles était un homme bien.
Généreux, attachant, complexe, nerveux, hâbleur, séducteur.
Toujours inquiet, tellement inquiet, la quintessence de l’inquiétude.
Il nous aimait, sa femme, depuis 54 ans, ses 3 enfants, ses 7 petits-enfants, il nous aimait tant.
J’aimerais passer des heures à raconter les jalons de sa vie, les anecdotes, les grands rendez-vous, les petites phrases, pour ne rien laisser mourir de lui, de ce qu’il incarnait.
Mais les mots, les images, les noms s’entrechoquent, si nombreux, pour parler de lui. Je ne voudrais rien rater, pour ne pas lui faire offense, tant tout de sa vie avait une valeur inestimable, tant mon père mérite qu’on lui rende hommage.
J’ai passé un paquet de temps à démêler les fils de ses contradictions, des doutes et angoisses jamais apaisés d’enfant caché à sa fierté de chacune des moindres de nos réussites. Depuis longtemps déjà je n’ai su garder de nos relations que son dévouement infini de père, de grand-père et d’époux. Toujours présent et soutenant, à chaque méandre de nos vies.
Alors qu’il menait un combat si courageux contre le covid qui ravageait ses poumons fatigués de vieux monsieur, une image tout de même s’est imposée à moi.
Il y a quelques années, mon fils et un groupe de copains de sa classe de 3e ont interviewé mes parents dans le cadre d’un travail sur la Shoah. A la fin du long entretien filmé, mon père a conclu ainsi : « On était voués à mourir aussi, tout enfants que nous étions, nous ne devions pas vivre, et grâce à ces gens-là (qui les avaient accueillis et cachés pendant la guerre), on est vivants, et on arrive à 80 ans grâce à eux. Et notre victoire à nous, c’est qu’on fait un grand pied-de-nez à Hitler, s’il nous voit on lui dit « beh tu vois mon pote t’as pas réussi, t’as voulu nous exterminer mais tu n’y es pas arrivé » parce qu’on est là et bien là, il y a des juifs en France et on est bien, on est français d’abord, moi je me sens d’abord français, mais juif aussi, et à Hitler on lui fait un grand pied-de-nez et on lui dit « tu vois tu n’as pas réussi à nous exterminer, on est toujours là. »
Tant d’images de mon père, et c’est son défi à Hitler qui s’impose à moi.
Au personnel soignant du service diabeto de l’hôpital d’Argenteuil, je voudrais dire mon immense gratitude d’avoir pris soin de lui pendant sa dernière semaine de vie, de nous avoir toujours répondu et informé sur son état, d’avoir tout fait pour organiser les derniers contacts.
A toutes les personnes âgées, en ephad ou isolées, et à leurs familles, j’adresse un message de solidarité.
A ma mère, à ma grande sœur et mon grand frère, avec lesquels nous avons accompagné mon père jusqu’au dernier moment dans des circonstances bien difficiles, à mon fils, mes nièces et neveux dont la peine est immense d’avoir perdu leur si formidable Papi Maurice, à Guillaume, mon mari, pour sa tendresse et sa chaleur, et à tous ceux qui m’ont soutenue pendant ces 9 jours très éprouvants, je voudrais dire tout mon amour.
Et à mon père, en guise d’au-revoir, je voudrais dire merci.
Maurice Fajgeles 5 avril 1937 – 6 avril 2020