J’ai beaucoup d’estime pour Catherine Deneuve et j’ai le goût du débat. Aussi ai-je lu la tribune sur la « liberté d’importuner » parue dans Le Monde avec intérêt et ai-je pris le temps de bien la relire avant de réagir. Je ne veux pas m’appesantir à démonter point par point en quoi les arguments avancés sont soit maladroits, soit faux, soit carrément à côté de la plaque, mais je partage le sentiment que beaucoup ont ressenti à la lecture de cet texte : un malaise mâtiné de colère.
Engagée aux cotés de Marlène Schiappa dans la grande cause du quinquennat sur l’égalité entre les femmes et les hommes, j’ai travaillé depuis plusieurs mois au sein d’un groupe parlementaire transpartisan sur le harcèlement de rue et je mesure, à l’aune de la trentaine d’auditions que nous avons menées avec Sophie Auconie, Laetitia Avia, députée de Paris, Erwan Balanant et Marietta Karamanli, combien les auteures de ce texte méconnaissent cruellement (ou tant mieux pour elles ?) la réalité du continuum des violences faites aux femmes.
Parce que ce texte laisse croire que nous mettons sur le même plan la « drague lourde » et l’agression sexuelle, ce qui déjà est tout à fait faux. Bien sûr, avec un « t’es mignonne, tu me files ton numéro ? », il n’y pas mort d’homme, enfin, de femme. Mais il est anormal et pesant quand il vous amène à adopter des stratégies d’évitement – s’habiller autrement, rentrer moins tard, changer de trottoir emprunter un autre itinéraire…
Parce que ce texte remet la honte dans le camp des victimes : « quoi, un type se frotte à toi dans le métro, c’est un parfait inconnu qui utilise ton corps sans ton aval pour assouvir ses pulsions, ne sois pas prude, aies plutôt de la peine pour lui ». Mais enfin, il s’agit là d’une agression sexuelle punie par la loi et il est parfaitement normal de mal le vivre !
Parce que des femmes écrivent, au nom d’un « vrai féminisme », que les femmes ne doivent pas être considérées et se considérer comme des proies et doivent se défendre. Mais c’est un fait, chaque jour des plus ou moins grands prédateurs sévissent, et c’est à eux de changer, pas aux femmes !
Parce qu’il laisse croire que le féminisme est un puritanisme. Non, le féminisme n’est que le sens de l’histoire qui mènera à la concrétisation de l’égalité. Il ne s’agit pas de placer les femmes dans le rôle systématique de la victime, mais de leur garantir le rôle qui doit être le leur : celui de citoyenne. Avec les mêmes devoirs et les mêmes droits que leurs homologues masculins. Dont le droit de circuler librement dans un espace public qui ne peut être que neutre, de pouvoir se comporter comme elles l’entendent, de pouvoir dire « non » avec la certitude que ce « non » soit respecté.
#NeRienLaisserPasser