L’art de perdre d’Alice Zeniter a résonné en moi à bien des égards.
Histoire d’émigration, de déracinement/enracinement, d’identité, de transmission/non-transmission.
Elle m’a plongé dans une Histoire que je ne connais pas suffisamment, que nous ne connaissons sans doute pas suffisamment collectivement – la guerre d’Algérie et l’arrivée en France des Harkis dans les années 60 – et qui croise un peu mon histoire puisque mon père fit 34 mois d’armée en Algérie, de 1957 à 1960. Et j’ai enragé en lisant le livre de ne pas l’avoir assez écouté quand il nous en parlait, de ne pas réussir à convoquer mes souvenirs de ce qu’il a vécu là-bas, de comment il l’a vécu. Faire la guerre à 20 ans. Je le savais pour l’Indépendance mais aussi toujours respectueux de l’armée. Sans creuser plus que ça. Ce n’est qu’au fil de ma lecture, que j’ai compris comme il eut été précieux d’attacher plus d’importance à ses récits, de l’interroger davantage. Et j’ai éprouvé son absence à chacune des pages que j’aurais tant aimé pouvoir confronter à son expérience personnelle.
Mais ce roman mélancolique, qui tire son titre d’un poème d’Elisabeth Bishop, parle aussi de la perte et de l’acceptation de la perte. Il s’agit ici de laisser derrière soi un pays, une famille, une Histoire.
Et je m’aperçois qu’en partant, mes parents ont emporté avec eux leur univers, leur culture, et ce lien avec la génération d’avant, que j’ai à peine connue, et dont certains n’ont pas survécu à la guerre. C’était un monde entier qu’ils charriaient avec eux et qu’ils me faisaient partager, celui d’avant ma naissance et même d’avant la leur.
Qui désormais reconnaitra Noël Roquevert dans le moindre de ses petits rôles ? Qui chantera en pleurant Les roses blanches ? Qui récitera des scènes entières de la trilogie de Pagnol ? Qui me parlera yiddish, me racontera le Pletzl, la rafle du Vel d’Hiv comme si j’y étais, les années de guerre, les années cachées et les parents perdus ?
Qui répondra à mes questions sur les 20 ans de mon père, soldat en Algérie ?
Avec mes parents, tout un monde disparu.
Un monde qu’il faut savoir perdre pour continuer à vivre. Laisser partir ce qui ne sera plus. Et qui reste pourtant indéfectible.